LES MENINES : ANALYSE SEMIOLOGIQUE DU TABLEAU DE VELASQUEZ

YVES GODARD - 29 MARS 2012.

Résumé de la conférence

Introduction

 

Résumer une conférence d’une heure trente n’est pas chose facile. Cet exercice aura au moins permis d’affiner mon propos.

Après avoir énoncé les circonstances qui ont conduit à l’analyse des « Ménines » nous avons rappelé de façon succincte la biographie de Diégo Vélasquez : sa naissance à Séville en 1599, ses études de peintre à l’académie de peinture de Francisco Pachéco, son mariage avec Juana Pachéco, le mariage de sa fille avec son assistant : le peintre Del Mazo etc. Nous avons insisté sur les qualités humaines exceptionnelles du peintre : son intelligence, sa culture, sa sensibilité, sa moralité, sa réserve et son sens des responsabilités. Puis, nous nous sommes intéressés à son ascension sociale : nommé peintre à la Cour du roi Philippe IV en 1624, des charges de plus en plus lourdes lui seront confiées tout au long de sa vie par le roi avec des émoluments, somme toute, modestes, charges si lourdes qu’elles le conduiront à la mort par épuisement.

 

Le tableau des « Ménines », le chef-d’œuvre de Vélasquez fut alors présenté en rapprochant la date de sa création (1656), de celle de la mort du peintre (1660). Ce tableau peut donc être considéré comme un véritable testament ; Si Vélasquez avait un message caché à délivrer c’est bien dans cette œuvre qu’il faut rechercher ce message.

 

 

Description du tableau « Les Ménines » par Paul Guinard

Après cette présentation, nous avons procédé à une description précise des « Ménines » par la lecture d’un texte de Paul Guinard dont nous avons extrait une interrogation concernant Vélasquez.

 « Il a reconstruit un univers de peintre, magique et chatoyant. Qu’a-t-il voulu ? Qu’a-t-il rêvé ? »

 

Nous avons alors affirmé qu’il était possible d’essayer de répondre à ces questions en dé-construisant l’univers de Vélasquez par les moyens de l’analyse sémiologique. Ce type d’analyse permet en effet de dégager le sujet sous-jacent de l’objet d’étude.

 

Qu'entend-on par analyse sémiologique ?

 

A suivi la description de la grille d’analyse sémiologique qui était utilisée à la cinémathèque de Montpellier résumée en quelques phrases, grille qui sera appliquée, en l’adaptant, au tableau des « Ménines ».

 

L’analyse du tableau se fera à partir de la recherche d’un ensemble de signes pertinents dans les premier et dernier plans, dans les éclairages, la composition, le décor, la taille des personnages, et d’une façon générale dans tout élément en décalage avec le sujet explicite ; Ce sujet, la représentation de l’infante Margueritte et de ses compagnes étant exclu de l’analyse.

 

Le sujet sous-jacent des « Ménines » dévoilé par l’analyse sémiologique ?

 

Ce sujet tourne autour de trois notions qui sont liées, toujours d’actualité et que l’on pourrait traduire, en termes d’aujourd’hui par :

Une dénonciation de la dictature.

L’affirmation de la puissance des médias vis-à-vis de celle de l’Etat.

Et de façon subsidiaire, le rétablissement de la vérité et la dénonciation d’une injustice.

Pour Vélasquez il s’agit :

De dénoncer l’absolutisme royal.

De rétablir la vérité sur Philippe IV.

Pour ce second point en mettant en scène la puissance de la peinture comparée à la faiblesse du roi.

 

Au seuil de la mort, Vélasquez a voulu rétablir la vérité concernant Philippe IV. Ce que la puissance de la peinture lui avait permis de faire tout au cours de sa vie : magnifier le roi, il entend le défaire. Nous en verrons les raisons plus loin. Il a faussement glorifié le roi en lui attribuant des qualités qu’il n’avait pas. Par exemple, il l’a représenté conduisant les troupes au combat alors que le roi n’a jamais participé directement à une bataille. Il entend revenir sur cette image de grandeur qu’il a créée de toute pièce: Le roi était un être faible, débauché qui se reposait totalement sur le comte-duc Olivarès pour la gestion du royaume d’Espagne.

Pourquoi ce revirement ? Vélasquez qui a mis tout son talent au service du roi n’a pas été payé en retour. Le roi, représentant de Dieu sur terre, le roi qui pouvait tout, le roi qui possédait un pouvoir absolu, l’a humilié en ne lui accordant pas le salaire auquel il aurait pu légitimement prétendre, le contraignant à s’endetter ; D’autre part, tout au cours de sa vie, il l’a surchargé de tâches si lourdes qu’il est en train d’en mourir d’épuisement. A travers « Les Ménines » Vélasquez exprime donc un certain ressentiment à l’encontre du souverain mais également le regret, lui, d’une probité absolue, d’avoir travesti la réalité au regard de l’Histoire, réalité qu’il entend rétablir.

Pourquoi cette attitude du roi ? On en est réduit aux conjectures : peut-être tout simplement un sentiment de jalousie vis-à-vis d’un homme dont il ressentait l’immense supériorité !

Ce sujet, nous le retrouvons exprimé dans les deux tableaux que l’on discerne à peine accrochés au mur du fond et dont nous parlerons plus tard. Dans ces deux tableaux est dénoncé le pouvoir absolu des Dieux et des rois, pouvoirs liés puisque le pouvoir des rois était affirmé comme d’origine divine. Dans ces deux tableaux, des Dieux : Apollon et Athéna, ulcérés de s’être vus surclassés par des mortels : Marsyas et Arachné, dans des domaines artistiques, celui de la musique et du tissage, vont, au mépris de toute justice, simplement parce qu’ils détiennent le pouvoir absolu, infliger aux mortels des châtiments terribles. Vélasquez sait ce qui lui en coûterait s’il défiait directement le roi, c’est donc de façon détournée, sous forme codée, qu’il va s’exprimer.

Avec toute sa finesse d’esprit, il va exalter sa propre puissance en tant que peintre au sommet de son art en la comparant à la ridicule faiblesse de Philippe IV en tant que roi.

Vélasquez établit une confrontation entre le roi et le peintre non pas sur un sujet commun, la musique ou le tissage comme dans les tableaux mais dans leurs champs respectifs : la peinture et la gestion du royaume.

Analyse sémiologique

 

Quels sont les procédés mis en œuvre par le peintre pour délivrer son message ?

 

1) Le tableau : scène de théâtre

Tout d’abord nous sommes conviés à regarder le tableau comme une scène de théâtre entièrement organisée par Vélasquez, tant dans le décor, la composition, dans les éclairages que dans l’attitude et la position des personnages. Rien dans ce tableau n’est anodin, tout est signe !

 

2) Importance du mur du fond.

Notons en premier lieu, parmi d’autres éléments surprenants cet immense plafond qui en raison des lois de la perspective entraîne nécessairement le regard vers le mur du fond, ce mur du fond sur lequel se trouve le miroir, une porte ouverte et une porte fermée et les deux tableaux qui ont été évoqués plus haut.

 

3) Rôle du miroir

Le miroir joue un rôle essentiel. Pour voir l’image du roi et de la reine dans le miroir comme Vélasquez pouvait imaginer de la voir en organisant le tableau, le spectateur doit se placer rigoureusement à la place du peintre peignant les « Ménines ». Vélasquez nous contraint donc à adopter son point de vue au sens propre comme au sens figuré. Il ne nous laisse aucune liberté pour regarder sa toile, il nous impose son regard. Cette place est face au point de fuite. La position de ce point n’est pas anodine. Le point de fuite se trouve sur la main de Niéto repoussant le rideau permettant à la lumière d’éclairer la scène par derrière, d’éclairer ce qui est dans l’ombre. Cette position du PDF est une invite à entrer dans le tableau par derrière comme le personnage de Nieto, une invite à regarder derrière les apparences.

 

 

4) Les deux points focaux

Par ailleurs, nous avons pu établir de façon, me semble t-il convaincante que le tableau présentait deux points focaux représentatifs, l’un du roi, l’autre du peintre. Le premier se confond avec le visage du Roi dans le miroir, le second avec le point de fuite, choix du peintre par excellence.

 

 

5) Vélasquez rétablit la Vérité : puissance du peintre, faiblesse du roi

En séparant le tableau en deux parties, nous avons pu faire ressortir, sous forme métaphorique, que dans ces deux parties, les qualités du peintre, l’emportaient largement sur celles du roi.

Dans la partie gauche, la faiblesse du roi est traduite par le pale reflet très lointain du visage du roi, alors que la puissance du peintre apparaît sous la figure immense du personnage de Vélasquez, en grand habit, toisant son sujet et surtout par l’immense châssis au premier plan. La porte fermée derrière Vélasquez lui permet un jeu de clair-obscur mettant le visage du peintre en valeur.

Dans la partie droite, pendant de la partie gauche, sous le regard du peintre en train de peindre « Les Ménines », se trouvent les personnages sur lesquels s’exerce la bien faible puissance royale qui ne se déploie en fait que sur son entourage immédiat : deux majordomes, une duègne, deux nains et un chien. La conclusion est évidente.

 

 

6) Les éclairages

L’une des prérogatives du peintre ou du metteur en scène est de jouer avec les éclairages.

Les mains des personnages du premier plan s’inscrivent sur une courbe qui aboutit non pas à la main royale tenant le sceptre mais à la main du peintre tenant le pinceau !

 

 

7) Analyse du premier plan

Intéressons nous maintenant au tout premier plan, la encore la démonstration est concluante : Coté peintre, l’immense châssis retourné : représentation symbolique de la Peinture, illustration de la maîtrise de l’art du peintre ; De l’autre, coté roi, un chien sur lequel un nain pose son pied. Sans commentaire !

 

8) Les tableau du fond

Ce n’est évidemment pas un hasard si Vélasquez a placé les deux tableaux au dessus et symétriquement placés par rapport au miroir. Deux tableaux qu’il connaît parfaitement bien puisque c’est son propre gendre qui a réalisé des copies d’une œuvre de Rubens et d’une œuvre de Jordaens, peut-être même à sa demande.

Nous avons déjà rapidement décrit ces tableaux. Ils illustrent deux légendes tirées des « Métamorphoses » d’Ovide.

Dans l’œuvre de Rubens, la jeune lydienne Arachné dans l’art du tissage se montre au moins l’égale d’Athéna. Elle sera punie par la déesse en étant transformée en araignée condamnée à tisser sa toile indéfiniment. Malheur à celle qui ose défier une déesse ! Dans l’œuvre de Jordaens, Marsyas égale Apollon dans l’art musical. Il sera puni en étant écorché vif. Malheur à celui qui ose défier un dieu, malheur à celui qui ose défier un roi ! Ces deux tableaux sont une terrible condamnation du pouvoir absolu. Vélasquez n’affrontera pas directement le monarque. C’est sous forme codée qu’il criera sa vérité… afin qu’un jour cette vérité éclate lorsque quelqu’un saura découvrir son message et le fera partager. Ce n’est pas sans émotion, par delà les trois siècles et demi qui nous sépare de la mort de Vélasquez, que s’est instauré ce dialogue direct avec le peintre permettant de lui rendre justice.

 

Conclusion

 

Toute analyse sémiologique présente un point de vue forcément restrictif, nous avons donc voulu terminer cette conférence en redonnant au tableau des Ménines toute sa dimension en lisant un extrait de « Vélasquez, le seigneur » de Léon Paul Fargue.

Vélasquez a été un homme exceptionnel :

- Sur le plan humain ;

- Dans le domaine de la peinture où il a totalement révolutionné la technique de la peinture à l’huile ;

- Dans le domaine philosophique où il s’est placé du côté des défenseurs de la justice et de la liberté bien avant le siècle des Lumières.

Sous des dehors modestes, Vélasquez fut un visionnaire :

« Il annonce ce qui sera… » écrit Léon Paul Fargue.

 

Yves Godard